Le rez-de-chaussée met en scène des sujets allant du «bleu et blanc» à la céramique industrielle

Publié: 16.07.2023, 09h14

Du côté de l’alliance bleu et blanc.

Boris Dunand, Musée Ariana, Genève 2023.

Il y a bien sûr les expositions. Trois, en ce moment.

Aux céramiques puristes de Margareta Daepp et aux sculptures en verre de Yan Zorichak, dont je vous ai déjà parlé, s’ajoute en effet «Transformations». Mais il existe aussi les salles permanentes, pour autant qu’il subsiste encore des choses durables sur Terre. Et sur celles-ci, personne n’a jamais un traître mot, les regards se braquant de nos jours sur l’événementiel. La poudre aux yeux, en quelque sorte!

Mondialisation ancienne

L’Ariana genevois a pourtant entrepris sous les houlettes d’Isabelle Naef Gaulba, directrice, et d’Anne-Claire Schumacher, conservatrice, un lent travail de renouvellement du parcours aujourd’hui dit «de référence». Restait encore en place, avec de petits arrangements, celui de la réouverture à la fin du règne de Marie-Thérèse Coullery en 1993. Une petite éternité. Le temps aussi d’un grand changement en ce qui concerne la médiation et l’accueil non plus «du» mais «des» publics. Une décision a été prise de rendre le rez-de-chaussée thématique, alors qu’il était jusque-là historique et géographique. Cela dit, je vous rassure tout de suite. Il avait depuis bien longtemps perdu le côté magasin de vaisselle à l’ancienne hérité de Gustave Revilliod. Un aspect qui demeurait encore le sien au temps de mon enfance!

Des réserves sous forme d’«accumulations»…

Boris Dunand, Musée Ariana, Genève 2023.

De grandes salles se sont ainsi vues réaménagées alors que le «Salon Revilliod», qui tient un peu du mausolée (le vrai se trouvant actuellement dans le parc de l’ONU), changeait de nature. Un pari mémorial difficile. C’est sans doute l’espace le moins réussi du réaménagement qui vient de prendre fin. Il y a d’abord eu la création d’un lieu voué au «bleu et blanc», qui reste l’alliance de couleurs la plus commune dans la céramique, de la Chine impériale aux carreaux de Delft ou au service de table de Wedgwood. Ici comme par la suite ailleurs, la décoratrice Patricia Abel s’est fait plaisir. Il fallait autant illustrer la diversité de décors monocolores allant jusqu’au présent que le goût de l’accumulation ayant marqué les amateurs des temps anciens. Puis est venue une salle vouée aux voyages intercontinentaux. A notre époque se voulant multiculturelle (du moins en Occident), c’est la parfaite idée d’une mondialisation déjà ancienne à expliquer avec divers gadgets visuels. Nous nous situons résolument ici dans le didactique.

La salle helvétique. Notez la croix blanche sur une des vitrines!

Boris Dunand, Musée Ariana, Genève 2023.

L’Ariana reste le seul musée du pays véritablement voué à la céramique et au verre, ce dernier demeurant toujours quantitativement le parent pauvre. La chose a naguère été rappelée par des expositions vouées aux potiers genevois du XXe siècle: Marcel Noverraz, Menelika (un binôme formé par un couple) ou Paul Bonifas. Il y a eu depuis les grosses rétrospectives consacrées à la manufacture porcelainière de Langenthal, créée en 1906, ou aux céramiques «rustiques» alémaniques du temps jadis. Les fabriques suisses avaient du coup acquis un droit de résidence permanente. Ce dernier s’est manifesté il y a quelque temps par une salle bien faite, à la fois sérieuse et un brin ironique. Aux campagnes s’opposent les villes. Zurich et Nyon ont voulu rivaliser au XVIIIe siècle, mais sans protection princière, avec Sèvres et Meissen. Il y a ainsi eu des figurines en «vieux Zurich».

Le salon Revilliod repensé.

Boris Dunand, Musée Ariana, Genève 2023.

Manquait encore le lieu où l’on montrerait que, comme le cinéma selon André Malraux, la céramique et le verre «sont aussi des industries.» Il vient de se dévoiler. C’est sans doute le réaménagement le plus réussi de l’ensemble, alors que le sujet semblait décourageant à force de ramifications. Patricia Abel est demeurée aux commandes. On lui doit aussi bien l’entassement de tasses blanches (à thé?, à café?) dans une vitrine murale que la présence d’un bidet (Suisse, années 1950) dans celle qui occupe le centre de la salle. Il fallait prouver, comme le fait la conservatrice Anne-Claire Schumacher, que sous le vocable «industriel» se cachent deux réalités bien différentes. Il y a ce qui sort de tunnels céramiques à haute température, comme des saucisses du moule. Et les petites séries manuelles, à l’instar des verreries soufflées à Murano, où chaque exemplaire demeure en fait légèrement différent des autres. Avec inévitablement des spécimens plus réussis que d’autres.

Fins (positives) de règne

L’ensemble vaut aussi bien au visiteur les productions déjà anciennes des écoles d’art genevoises (avec de belles réalisations Art nouveau) que le design revu en Suisse alémanique par Langenthal et en l’Allemagne chez Rosenthal. Avec des disparitions dues au changements sociaux (ou sociétaux, si vous préférez). Orgueil des salons bourgeois, la cafetière est devenue obsolète. La faute à la souvent très laide machine à café. L’Ariana lui rend un hommage funèbre. De toute manière, les usines céramiques elles-mêmes se révèlent actuellement à la peine. Elles tendent à disparaître un peu partout. La céramique comme le verre doivent, comme on dit, «se réinventer». Il est donc bon qu’ils aient, comme ici, retrouvé leur place quotidienne de naguère. La salle contient en effet beaucoup de pièces modestes et sans réelle valeur financière. Elle a pourtant ses collectionneurs. J’en suis. J’ai du reste hésité à vous parler de ce nouvel aménagement (on a tout de même ses pudeurs!) alors que je suis le donateur ou le prêteur d’un certain nombre de pièces. Je les ai retrouvées, non sans amusement, dans des vitrines aussi officielles.

Anne-Claire Schumacher montant une exposition avec le collectionneur  Frank Nievergelt en avril 2015.

<pVoici quelques ressources sur le sujet :

Site officiel du Musée Ariana
Article du journal Le Temps sur la réouverture du rez-de-chaussée du Musée Ariana
Article du journal Tribune de Genève sur la réouverture du rez-de-chaussée du Musée Ariana
Article du journal 24 heures sur la réouverture du rez-de-chaussée du Musée Ariana

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